Élaborer une stratégie pour mener la transition locale

Pour remporter les élections et devenir maire de votre commune, votre maire a dû élaborer une stratégie pour sa campagne électorale. Et bien, pour mettre en oeuvre la transition écologique locale, il faudra faire de même. D’autant plus que par la rapidité – voire la brutalité des changements à opérer demande un certain doigté.

C’est là que réside toute la différence entre les vainqueurs et les perdants. La stratégie, planification de ses actions et anticipation de celles des autres, est la clé pour atteindre son objectif. Voyons donc comment élaborer une stratégie de transition écologique à l’échelle d’un territoire.

Certains n’ignorent pas que par le passé, j’ai organisé et mené des actions de désobéissance civile. Cet article est donc directement tiré de cette expérience de terrain. Ce qui s’applique pour faire bouger entreprises et collectivité vaut également pour les citoyens.

Je vous propose un plan en 5 étapes pour réconcilier la lutte de terrain avec la mise en oeuvre de changements concrets dans votre commune.

Fixer son objectif de long terme

A la base, il y a le rêve, la vision. Mais ce n’est rien de plus que quelque chose de flou, sans consistance. Vous avez besoin de le transformer en objectif concret à atteindre pour démarrer le processus.

Et pour ce faire, je vous propose d’adopter le cadre méthodologique SMART. Votre objectif doit être Spécifique, Mesurable, Accessible, Réaliste et Temporellement limité. Comme d’autres outils, cette méthode nous vient du marketing.

Réaliser la Transition Ecologique Locale n’est pas en soi un objectif spécifique. Réduire ses émissions de gaz à effets de serre en est un. Pour être mesurable, visez un objectif de 50% par rapport à 2020. Ainsi, vous chiffrez votre progression objectivement. Avec 80%, il n’aurait pas été jugé accessible. Trop ambitieux, votre objectif démotive vos alliés (nous y reviendrons).

Ensuite, il doit aussi être réaliste, c’est à dire qu’il doit en valoir la peine. A quoi bon réduire vos émissions si tout le monde s’en fiche ou si vous n’avez rien à y gagner. Ici, vu l’imminence de la catastrophe climatique, la pertinence n’est pas un problème en soi. Enfin, vous devez vous donner un délai imparti pour y parvenir. Sans délai, l’engagement est infini, et rares sont ceux souhaitant se dévouer à une cause toute leur vie. L’exemple de la cause animaliste est en ce sens frappante. Henry Spira, avec cette méthode, a révolutionné la lutte et a obtenu de réelles avancées en quelques années. Il visait simplement plus petit, tout en poursuivant l’objectif de l’abolition.

Vouloir réduire les émissions de gaz à effets de serre émis par votre commune de 50% entre 2020 et 2026 est un objectif smart.

Définir les étapes intermédiaires pour votre stratégie

Comme nous l’expliquions précédemment, votre objectif doit être accessible dans le délai imparti. Vous ne devez pas épuiser vos ressources en le réalisant. La transition écologique locale ne doit pas, si possible, être une victoire à la Pyrrhus.

Par exemple, l’ONG 350.org souhaite interdire l’usage des énergies fossiles. C’est son objectif final, mais pas celui sur lequel elle communique. Elle mène des campagnes intermédiaires qui lui permettent de gagner en crédibilité et en moyens d’action. Par exemple, ses campagnes contre le mécénat des établissements culturels par Total vise la bonne réputation de cette compagnie en dénonçant l’impact du pétrole sur la culture. Se concentrer directement sur l’objectif final n’aurait pas eu de sens, car il est trop complexe à appréhender. Il est difficile d’obtenir un levier d’action. Il faut donc se renforcer et diminuer les protections de l’adversaire pour maximiser ses chances de réussite.

C’est à dire que vous allez informer, mobiliser et agir en nombre réduit pour atteindre votre premier objectif. Une fois atteint, vous pourrez informer plus largement, mobiliser plus d’habitants et donc viser un objectif plus ambitieux. La réalisation d’objectifs pertinents au vu de vos moyens vous fait gagner en visibilité médiatique, en reconnaissance des acteurs de terrain et donc en capacité à récolter des fonds et à recruter des participants supplémentaires.

Dans votre cas, visez par exemple l’installation de composteurs partagés pour 50% de la population d’ici 2 ans. Cet objectif est modeste, mais pas ridicule, et facile à accomplir. Une fois atteint, vous communiquez sur les résultats positifs obtenus, et êtes plus crédible pour la suite de votre démarche de transition écologique.

A l’inverse, rester uniquement sur l’objectif de réduction des 50% des émissions sur 6 ans est trop long, trop abstrait pour susciter l’enthousiasme envers votre stratégie de transition écologique. Vous avez besoin d’objectifs intermédiaires pour réussir.

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Analyser la situation de votre collectivité

Une fois vos objectifs à court, moyen et long termes définis, vous avez besoin d’un plan d’action. La première étape de ce plan d’action est de savoir où en est votre collectivité. Et pour ce faire, nous allons utiliser l’outil du SWOT pour force, faiblesse, opportunité et menace. Les deux premiers sont internes, les deux autres externes. Les 5 diagnostics réalisés au préalable vous permettront d’alimenter également cette réflexion.

Vos forces sont vos compétences propres, vos fonds financiers importants, du matériel utile, des leaders locaux de votre côté. Tous les éléments de votre mairie qui vous permettent d’atteindre l’objectif. Vous avez un scientifique ou un ingénieur thermicien dans votre équipe ? Il pourra expliquer avec légitimité et crédibilité le fondement de la démarche. Toute stratégie se base sur ses points forts. Vous allez les utiliser au maximum.

Vos faiblesses sont ce que vous ne possédez pas, ce qui vous freine. Votre commune est trop petite, ses capacités d’investissement sont faibles, elle est trop endettée. Les agents ne sont pas motivés, les bâtiments sont des passoires. C’est dommage, vous allez devoir les accepter et les surmonter. En les connaissant, vous pouvez anticiper la gêne représentée.

Ensuite, les opportunités viennent d’un contexte extérieur favorable à votre objectif. Un appel à projet vient de sortir. L’intercommunalité s’intéresse à la transition. Un leader d’opinion habite votre territoire et peut vous aider. Ralliez les à votre cause pour toucher plus de monde.

Enfin, les menaces sont les éléments extérieurs capables de vous freiner. Un constructeur automobile emploie la moitié de la population. Une multinationale veut s’implanter à proximité et polluer vos cours d’eau. Le gouvernement supprime la taxe d’habitation Apprenez à vous en prémunir.

Vous devez être synthétique et vous concentrer sur le domaine de votre objectif. Étayez vos facteurs avec des rapports et des statistiques si possible. Grâce à cela, votre Stratégie de transition écologique se renforcera.

Déterminer les alliés et les adversaires de la transition écologique

Votre stratégie de transition écologique va susciter l’adhésion de certaines personnes. D’autres risquent également de s’y opposer. Normalement, vous les avez identifiés au point précédent. La stratégie va consister à capturer progressivement les pièces neutres de l’échiquier.

Il s’agit en fait de déterminer le rapport de force. En effet, vous n’allez pas vous adresser de la même manière à vos opposants ou à vos sympathisants. Mais surtout, vous avez besoin de connaitre les personnes neutres, et pourquoi elles le sont. Ainsi, vous serez capable d’adapter votre discours et vos actions pour les rallier à votre cause.

D’abord, vous avez besoin de transformer les sympathisants en participants. Les clubs de jardiniers sont en principe favorable à la transition écologique, mais ont besoin d’être informés, conseillés, encadrés. Et même au sein des automobilistes convaincus, il peut exister des lignes de fracture. Certains sont contraints d’utiliser la voiture mais souhaitent une alternative. Ils peuvent donc être ralliés à votre cause si vous utilisez les bons leviers.

Ensuite, vous pourrez espérer atteindre une masse critique. C’est à dire le moment où avec suffisamment de leaders d’opinion et de groupes sociaux de votre côté, le changement s’opère par une réaction en chaîne. Les travaux de Saul Alinsky sont d’ailleurs très éclairants pour déterminer comment l’atteindre. Il explique en outre des tactiques pour neutraliser les opposants, les empêcher de nuire.

Connaitre les opinions de la population permet d’une part de se faire élire. Mais cela permet aussi d’autre part de savoir comment agir pour les faire adhérer à la stratégie de transition écologique.

Vérifier la solidité du plan d’action

Enfin, un plan d’action avec des objectifs SMART et une bonne connaissance du contexte ne suffit pas. Vous devez aussi être sûr que vous possédez tout le nécessaire pour réussir. En effet, en la matière, vous n’aurez droit qu’à une seule chance. Autrement dit, si vous échouez, la mairie changera sûrement de mains en 2026 au profit d’une majorité encore aveugle au sujet du changement climatique. Ou qui pense notamment qu’on peut se contenter de demi-mesures pour s’y adapter.

De ce fait, vous avez besoin d’une check-list. Certes, on ne peut pas faire de vélo sans pédaler. Il vous faut vous lancer dans le but d’atteindre la transition écologique. Mais votre stratégie ne sert à rien, si vous ne vous êtes pas assuré au préalable de certaines choses.

Premièrement, vous disposez des compétences nécessaires. Autrement dit les bons agents et la compétence légale. Deuxièmement, l’envie du changement est là. Informez votre population, inversez le rapport de force. Troisièmement, vous en avez les moyens. Votre commune est ainsi peu endettée, ou sait où trouver les fonds nécessaires. Elle a également le bon matériel, les bonnes informations. Enfin, vous avez un plan d’action bien détaillé. Tous les points précédents expliquent ce dont vous avez besoin, mais pas ce que vous devez y mettre. Grâce aux propositions et analyse de ce blog, vous saurez comment le compléter, les petites et grandes actions à mettre en oeuvre, les actions qui vont marcher ou pas. En fait, vous allez étoffer votre plan d’action.

A vrai dire, vous pouvez essayer de vous passer d’un de ces points. Mais avec un changement aussi radical que la transition écologique, le risque en est d’atteindre un point de blocage. Vous avez besoin de vérifier régulièrement où vous en êtes, d’apprendre de vos erreurs et de réagir avec souplesse.

Conclusion

Dans l’ensemble, ces 5 éléments constituent le pilier de votre stratégie de transition écologique. D’autres principes complémentaires pourraient cependant vous servir, mais il parait plus simple d’indiquer une bibliographie de référence. De la sorte, vous accédez directement à un enseignement de qualité sur les moyens d’établir une campagne et de la mener à bien. Bientôt, objectifs finaux et intermédiaires, analyse SWOT, rapport de force et plans d’action n’auront plus de secret pour vous.

D’ailleurs, pour vous entrainer, je vous invite à analyser la manière dont procèdent les mouvements sociaux et les organisations politiques écologistes. Vous verrez rapidement ce qui marche et ce qui ne marche pas dans leurs manières de faire.

Bibliographie indicative

  • ALINSKY Saul, « Radicaux réveillez vous« , Le passager clandestin (2017)
  • BOYD Andrew & MITCHELL Dave Oswald, « Joyeux Bordel« , Les liens qui libèrent (2015)
  • MULLER Jean Marie, « Stratégie de l’action non violente« , Points (1981)
  • POPOVIC Srdja, « Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit, et sans armes« , Peyot (2015)
  • SINGER Peter, « La Théorie du tube de Dentifrice« , Edition Goutte d’or (2018)

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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